
Virginie Despentes a publié en 2015 les deux premiers volumes d’une trilogie intitulée Vernon Subutex. Dans le premier volume, on suit la chute de Vernon Subutex, disquaire parisien d’une quarantaine d’années, ruiné par le déclin du marché du disque au début du troisième millénaire. Après avoir fermé boutique, Subutex survit grâce à l’aide d’Alex Bleach, un de ses anciens clients devenus rock star. Après la mort de Bleach, Subutex n’a plus de ressources, il est expulsé de son appartement et doit dès lors demander l’hospitalité à ses anciens amis, amis qui sont presque tous d’anciens clients de sa boutique à son époque de gloire. Entre-temps, certains sont morts ou ont sombré dans la drogue, d’autres se sont embourgeoisés, reniant leurs idéaux de jeunesse. Très peu ont vraiment l’intention ou la possibilité d’aider Subutex, lequel finit donc SDF. Mais Subutex est parti avec une cassette enregistrée par Bleach juste avant sa mort… Dans le deuxième volume, Subutex s’installe avec d’autres SDF dans le parc des Buttes Chaumont, où il croise certains de ses amis en quête des enregistrements de Bleach. Petit à petit, un groupe se constitue autour de Subutex qui, malgré son absence de charisme et son hygiène franchement douteuse, devient un DJ tout à fait exceptionnel, peu à peu considéré comme un véritable guide spirituel par tous ceux qui croisent sa route.
Les livres de Virginie Despentes sont d’une construction très sophistiquée. Mais ce qui en fait surtout l’intérêt, c’est la grande acuité psychologique du portrait des nombreux personnages, dressant un tableau au vitriol de la France des années 1985-2010, entre punk rock et déglingue sociale.

Les deux livres sont très prenants, le premier est très sombre et le second un peu moins. L’ensemble est abordable, même pour des élèves qui ne seraient pas de grands lecteurs.
Ci-dessous, le tout début de Vernon Subutex 1 où l’antihéros de V. Despentes vit déjà un quotidien difficile, préfigurant sa future vie de SDF :
« Les fenêtres de l’immeuble d’en face sont déjà éclairées. Les silhouettes des femmes de ménage s’agitent dans le vaste open space de ce qui doit être une agence de communication. Elles commencent à six heures. D’habitude, Vernon se réveille un peu avant qu’elles arrivent. Il a envie d’un café serré, d’une cigarette à filtre jaune, il aimerait se griller une tranche de pain et déjeuner en parcourant les gros titre du Parisien sur son ordinateur.
Il n’a pas acheté de café depuis des semaines. Les cigarettes qu’il roule en éventrant les mégots de la veille sont si fines que c’est comme tirer sur du papier. Il n’y a rien à manger dans ses placards. Mais il a conservé son abonnement à Internet. Le prélèvement se fait le jour où tombe l’allocation logement. Depuis quelques mois, elle est versée directement au propriétaire, mais c’est quand même passé jusque là. Pourvu que ça dure ».
Et, dans l’extrait qui suit, à la fin de Vernon Subutex 2, le personnage se rend compte, au cours d’une fête en Corse, qu’il est en train de devenir une sorte de gourou pour tous les gens qu’il fait danser grâce à ses extraordinaires talents de DJ :
« Et puis plus tard, un long silence. Il lance les sons alpha d’Alex. Il prend son temps. Avec la réverb, dans la chapelle, ça se lève tout de suite. Toujours dans l’obscurité, la pureté du son. Bootsy Collins. I’d rather be with you. Des silhouettes se détachent et forment des grappes éphémères. La Hyène est presque immobile quand elle danse, sauf ce léger mouvement des hanches. La plupart des corps ne bougent pas encore. Beaucoup sont restés allongés. Il croise le regard de Pamela. Il établit le contact avec les absents. Mentalement, il cherche les parois mobiles – les passages secrets dans le temps et le solide des choses. Des volutes de lumière de lune s’ouvrent entre les gens. Et comme souvent la nuit, il voit la longue silhouette d’Alex, géante dans la pépinière d’étoiles, qui se penche sur eux et qui les observe, souffle doucement sur le sol, en souriant. Tout autour des vivants dansent les morts et les invisibles, les ombres se confondent et ses yeux se ferment. Autour de lui, le mouvement est déclenché. Ça commence. Il les fait tous danser ».